Il
est réjouissant de constater l'existence d'une rébellion bretonne
contre l'écotaxe concoctée par l'oligarchie dominante en France et en
Europe afin de pressurer toujours plus le bon peuple. Celle-ci ne fait
que s'ajouter aux multiples pièges inventés afin de faire les poches de
ceux qui bientôt les auront totalement vides. Il est évident que nous
vivons sous le règne de la kleptocratie arrogante et il était
désespérant de constater que jusqu'à ce jour une certaine apathie
régnait chez ceux qui en sont le plus affectés : les travailleurs. Il
fut un temps où les révoltes surgissaient pour moins que cela.
La
référence à la rébellion des bonnets rouges en Bretagne (bleus en pays
bigouden) sous le règne de Louis XIV (1675) contre la pression fiscale
devenue insupportable, en est l'illustration. L'analogie entre cette
rébellion et les dernières manifestations bretonnes peut être un point
de départ pour la compréhension de l'histoire d'une région ayant un fort
sentiment identitaire et n'ayant guère oublié son histoire. Mais on ne
peut en rester là. En effet, la crise économique de la seconde moitié du
17° siècle en France était aggravée par les besoins pécuniaires
découlant de la guerre que la monarchie absolue entreprenait alors.
Aujourd'hui, c'est tout le prolétariat mondial qui pâtit des mêmes
conditions d'exploitation - certes à des degrés variés - sous l'égide de
la globalisation et corrélativement de la politique et de l'idéologie
libre-échangistes. C'est une situation particulière à la région bretonne
qui a mis l'écotaxe en exergue déclenchant la colère des camionneurs
qui a ensuite servi de catalyseur à tous les travailleurs menacés par le
chômage, la fermeture de nombreuses entreprises locales obéissant aux
lois de la recherche du meilleur taux de profit. Une convergence
temporelle de situations tendues a mis le feu aux poudres. La répression
étatique ne s'est pas fait attendre comme c'est toujours le cas
lorsqu'il s'agit de mater les contestataires à l'égard du système, alors
que les voyous profitent toujours de la mansuétude de la classe
dominante qui sait qu'ils pourront toujours lui être utiles au sein du
chaos grandissant.
Néanmoins la convergence dans la lutte, que le gouvernement redoutait,
entre diverses couches de la population (pêcheurs, paysans, ouvriers) et
qui a donné un aspect impressionnant à la mobilisation a rapidement
laissé apparaître, qu'au-delà de certains intérêts communs pouvant
s'opposer au système, une divergence de classe existait au sein du
mouvement. D'autant qu'une fraction du patronat appelait à la
manifestation de Quimper( les bonnets rouges) - un capitaliste peut
toujours être victime de la concurrence d'un autre - et que le Front de
Gauche jouant son rôle de radicalité verbeuse appelait quant à lui à
manifester à Carhaix (les rouges bonnets). Il s'agissait en fait de
freiner des deux côtés la potentialité du développement révolutionnaire
de la lutte de classe. Du côté du patronat, pour partie lié au grand
capital (de l'agroalimentaire par exemple) et pour partie représenté par
des PME, il s'agit de maintenir ses exigences de rentabilité et de
désamorcer toute remise en question du rapport social dominant en
mobilisant ses salariés dans le suivisme de la collaboration de classe.
Pour ce faire, il a reçu, à titre d'exemple, le soutien du maire de
Carhaix (de gauche) qui, à cette occasion, a ressorti le serpent de mer
de la régionalisation à la mode sociale démocrate, sensée revivifier le
tissu économique. La régionalisation sans la critique pratique du
capital n'est à nos yeux que la traduction dans les faits de la
stratégie technocratique bruxelloise d'affaiblissement des derniers
obstacles que se doit de renverser la dynamique outrancière de
l'exploitation capitaliste. Alors l'extrême gauche du capital s'attribua
comme toujours le beau rôle, afin de se proposer comme solution
alternative à la dérive libérale, se drapant dans les oripeaux de
l'indignation et en faisant sécession pour aller déambuler à Carhaix où
la mobilisation fut des plus modestes. Après ce petit tour pédestre et
champêtre les salariés de la pseudo contestation ont rejoint leurs nids
douillés urbains, satisfaits d'avoir clamé qu'ils ne défileraient pas
aux côtés des patrons. On ne peut, certes, leur reprocher cette
proclamation mais plus essentiellement, il s'agit de considérer qu'à
aucun moment ils ne s'efforcèrent de peser afin de renverser le rapport
de forces avec l'Etat et le capital en appelant à une extension des
luttes sur le plan régional et national. Il s'agissait simplement de
témoigner de leur pureté d'intention, de conforter leur image
essentialisée d'anticapitalistes, reconnue spectaculairement. Pour
épicer le tableau, nous eûmes droit au discours sur d'obscurs
groupuscules identitaires (d'extrême droite ou/et d'extrême gauche?)
plus ou moins folkloriques, spectaculairement médiatisés lors de leur
tentative de saccage d'une préfecture. La police tient toujours en
réserve sous le mode occulte de tels énergumènes.
Quelles leçons tirer de cette situation? Une première évidence est que
le gouvernement actuel fera bientôt une quasi unanimité contre lui. Les
mesures antipopulaires s'accumulent au gré des semaines sans que cela ne
dérange les commis politiques du système mais enfin, nous savions pour
notre part qu'ils étaient là pour ça et seuls les naïfs s'en offusquent.
Ce mécontentement ne suffit pas néanmoins pour cristalliser une genèse
de prise de conscience de classe d'une certaine ampleur ; il continuera
d'alimenter le mouvement du balancier droite/gauche au pouvoir. Existe,
par ailleurs, un autre enseignement plus important à nos yeux lié au
départ à la question de l'écotaxe évoquée ci-dessus. Celle-ci ne
concerne pas directement la masse des prolétaires mais sa contestation a
réveillé la Bretagne subissant de plein fouet une accumulation de plans
dits "sociaux". Ainsi, à partir, d'un phénomène particulier, surgit une
revendication plus générale outrepassant ce phénomène. Ce processus
peut donner lieu à une alliance combattive entre des couches sociales
très proches les unes des autres sur le plan de leur précarisation
socio-économique. Mais cette dynamique ne doit pas rester circonscrite à
une problématique régionale aussi spécifique soit-elle. Ce sont les
conditions générales vécues par les prolétaires qui leur imposent de
lutter au sein d'un front de classe le plus extensif, géographiquement
parlant, possible. En attendant une convergence internationale
souhaitable de la contestation du système, il est pour le moins
nécessaire de mettre en avant le sens universel de ces luttes et de les
faire vivre en leur donnant de la force sur un plan national. La
spécificité de la Bretagne ne doit pas induire une vision parcellaire
des causes ayant entraîné son mouvement social. Elles sont celles,
inhérentes au mode de production capitaliste avec son de agriculture
intensive polluante, avec ses impératifs de rentabilité dans la
production et dans son mode de distribution. La désindustrialisation
n'est pas un phénomène nouveau, non plus, ayant déjà affecté tour à tour
les diverses provinces françaises. Toute lutte isolée, aussi virulente
soit-elle, n'a que peu de chance d'aboutir de nos jours ; rappelons-nous
des combats menés par les sidérurgistes lorrains à la fin des années 70
où toute une région était au bord de l'émeute. Cela ne fit pas reculer
le capital.
Conclusion : la Bretagne ne saurait se sauver toute seule, inutile de
rêver à propos d'une alliance de toutes les classes sociales soudées
dans la défense du peuple breton. Ceux qui aiment leur province ne
peuvent le montrer qu'en s'attaquant au capital tout comme les
prolétaires grecs qui ne sauveront ce qui reste de leur pays qu'en
refusant de se faire étrangler par la finance internationale. Les
prolétaires de tous les continents auront à trancher les multiples têtes
de l'hydre impérialiste, avec ou sans bonnet.
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